Le bonapartisme? Comment est-ce encore possible?
Au-delà du cercle des amateurs de stratégie militaire de « guerre totale » sur les champs de batailles du XIXe, je suis toujours surpris d’entendre des laudateurs du projet politique bonapartiste.
Que Bonaparte soit mieux que l’horrible révolution parisienne, soit: sur l’échelle du pire, sa dictature vaut mieux que la Terreur. Mais il me parait incroyable d’embrasser encore aujourd’hui ce mythe politique qui ne profita qu’au neveu pour des résultats tristement similaires, tout en détournant jusqu’au bout les attentions de la seule alternative politique possible qu’offrait le Comte de Chambord. On peut être nostalgique (et romantique si l’on veut) des année de fougue et des charges de cavalerie, mais cela ne fait pas un projet politique pérenne: qui peut encore aujourd’hui être dupe de ce césarisme aventurier et le penser comme un projet politique solide pour notre pays?
Aujourd’hui, ces « bonapartistes » (hésitent-ils à se revendiquer « napoléonistes », ou « impérialistes »?) se présentent comme de bons et raisonnables patriotes, « salut-au-drapeau », dénonçant les tendances anarchiques et corrompues de la république pour mieux souligner et mettre en avant leur solution politique qui, par deux fois, mit l’Europe en feu et la France en occupation. On frôle la trahison.
Et pourtant, forts d’un bilan déplorable, ces bons patriotes font des oeillades aux « avancées » de la république impériale et ferment les yeux sur l’engrenage révolutionnaire dont leur héros jacobin est pourtant issu: « voyez-vous, Napoléon, finalement, c’était la révolution en bien. »
A ceux-là on a menti, refourguant dans les plis du drapeau et en guise de souvenirs des sacrifices des champs de batailles (ceux de 14 inclus) un ersatz de projet politique conforme à la révolution, pourtant responsable de ces drames.
Il faut le rappeler: Napoléon n’est rien d’autre que le trait enfin tiré sur l’horreur révolutionnaire mâtiné du souvenir enjolivé de conquêtes éphémères au prix d’un fleuve de sang.
« Condamnation de la Terreur, de ses bains de sang, de ses pillages, de son vandalisme, de la persecution religieuse; impératif du plus-jamais-ça, indulgence de l’impérialisme qui flatte l’orgueil démesuré d’une extension territoriale (éphémère)… image gratifiante associée à une efficacité administrative, d’un retour à la paix intérieure, tapis jeté sur les fleuves de haines, et condamnation des anciens privilèges au bénéfice des nouveaux… » (P. Chaunu).
C’est un répit avant une aventure meurtrière, un statu quo instable entre deux rives de sang.
Un statu quo autour de 1789, devenu un « iceberg » acceptable de la révolution.
« La Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée : elle est finie. » (N. Bonaparte)
Circulez: il n’y a plus rien à voir.
Désormais, dans l’imaginaire de la conscience politique de notre France, l’ordre brutal à masqué le désordre terroriste: la révolution a été libérée de son horreur par l’écran impérial sans avoir à revenir aux lys, occultant des mémoires la machine révolutionnaire post-1789 et celle autrement plus glorieuse et pérenne de la royauté.
A travers la fascination pour l’empire, comment ne pas entendre la dissimulation (même involontairement) d’une sanctuarisation de la révolution: 1789 distingué de 1793; absoudre 1789 au prix de 1793.
Le bonapartisme, l’empire ? La synthèse de l’après-gâchis révolutionnaire.
Le bonapartisme est un écran qui masque la France royale aux yeux du peuple et la terreur aux yeux des bourgeois. Mais il n’arrête pas la révolution: il la farde. Bonaparte, c’est une transition révolutionnaire controlée pour finir défendable (« De Clovis jusqu’au Comité de salut public, je me sens solidaire de tout. » N. Bonaparte)
Si bien même que c’est réellement sous le neveu (le « Napoléon petit »), aux alentours de 1860, que naît l’idée de république acceptable. Par la suite, c’est à coups de sabres sur le boulevards que la république s’est révélée un rempart solide pour « l’establishment ». C’est celle-ci dont nous recevons aujourd’hui l’écho dans nos partis dits « de gouvernement ».
Depuis 1799, pour ceux qui en vivent, mieux vaut un empire républicain (plus tard nous aurons la république impériale et coloniale) qu’une royauté catholique. Un seul compas: les intérêts.
Le choix de Mammon…
Et c’est encore ce qui transparait en 1871 avec l’échec de la Restauration pourtant voulue et votée par les Français et à laquelle les libéraux conjurés ont fait obstacle en se cachant derrière un drapeau.
L’empire, en réalité, n’est rien d’autre que la béquille-excuse d’intérêts inquiets qui, hier comme aujourd’hui, libéraux repus, oscillent entre conservation de biens nationaux et protection du capital. C’est un exercice de funambule: ne pas reconnaitre les erreurs de la révolution (conserver 1789) et ne pas accepter les changements de la république (éloigner 1793).
Hier déjà, le bonapartisme était le cache-sexe d’intérêts « bourgeois ».
Paravant mémoriel anti-royaliste bien commode (« Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. » N. Bonaparte, 2/XII/1804), Bonaparte cache aussi bien-à-propos la réalité de la révolution et de son idéologie de « société régénérée » (« Il faut que je fasse de tous les peuples de l’Europe un même peuple et de Paris la capitale du monde. » N. Bonaparte, 1849): le bonapartisme est le masque honorable de cette révolution que tout patriote ne peut que rejeter avec horreur (ne serait-ce que parce qu’elle casse notre dynamisme démographique et le train de reformes qui nous lançait sans horreur vers la révolution industrielle, que nous raterons…).
Entre domestication des symboles révolutionnaires et restauration des principes de la royauté, le bonapartisme devient un courant de milieu, acceptable pour les bénéficiaires des biens nationaux, les libéraux et les Chartreux de 1830… Bonapartistes puis Orléanistes justifient par la « bonne révolution » leurs nouvelles et récentes positions sociales ainsi que les politiques économiques libérales qu’ils imposent aux Français pauvres qui formeront le prolétariat abandonné.
L’empire n’est rien d’autre que le filtre rose des bénéficiaires de la république et le jeune proletariat ne s’y trompera pas en refusant cette mystification et en embrassant, par rejet et sentiment d’inachevé, la face 1793 de la monnaie revolution.
Il n’y a deja plus d’opposition royaliste: elle a été exterminée et le jeu politique se joue désormais sur la forme que doit prendre la république, forme institutionnelle de la révolution.
Toute notre histoire politique républicaine pendulera désormais violemment entre république libérale contre la république sociale, entre le mythe d’une juste libération (d’une oppression royale fantasmée) et celui de fraternité nouvelle (messianisme égalitariste du bonheur à venir), entre vision myope et exaltation mystique, entre opportunistes et radicaux, entre répartition due au travail et répartition due aux besoins. Nous vivons en permanence dans une guerre civile froide.
Aujourd’hui, l’empire mystifié est devenu une diversion romantique : l’opium des patriotes.
Aujourd’hui, derrière le masque du soldat patriote, à coup « d’homme providentiel », de défilés aux drapeaux, et de mystique du coup d’Etat ou de recours au peuple, on nous ressert la soupe du césarisme. Non merci!
Assez de ces diversions qui acceptent à demi-mots la catastrophique révolution de 1789 : il faut ouvrir les yeux et cesser de se droguer au bonapartisme, cette pilule « révolution » à destination des romantico-patriotes.
La France n’a pas besoin d’un Nième équilibre politique précaire. Le bonapartisme, et son enfant illégitime raté qu’est l’orléanisme, ne sont que des miroirs aux alouettes posés pour empêcher la reemergence des valeurs portées par la royauté.
Ne soyons pas dupes: quand on vous parle de bonapartisme, on vous parle de révolution.
Non, la révolution ne fut pas le fait de résistants à un supposé despotisme royal; non l’empire n’est pas une solution pérenne et l’a prouvé par deux fois.
Nous ne sauverons la France qu’en sortant de la république et de son dogme révolutionnaire.
Notre marasme n’est dû qu’aux idéologies nées de la révolution et la seule alternative pour notre redressement est de redécouvrir la force, la stabilité et les libertés qu’offre la royauté dont les valeurs de justice et de miséricorde s’incarnent avec Louis XX dans la royauté tempérée, seule alternative réelle pour notre pays.